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vendredi 9 août 2013

VOIE NORMALE DU MONT-BLANC : LA COUR DES MIRACLES OU LE SALAIRE DE LA PEUR !!!

JEAN ANNEQUIN - GUIDE DE HAUTE MONTAGNE 



Il est beau vu de là !!! majestueux 
Mardi en sortant de l'arête de l'Innominata au Mont-Blanc, je me suis posé la question de par où descendre de la Grande Bosse. Il est 8h30, le vent est fort mais pas trop encore. On vient de mettre 6h pour l'arête. Tout le monde a bien la forme : Jeem avec qui je suis encordé, Mamat et son client Pascal. Au sommet on croise les cordées qui arrivent du refuge du Gouter.  
Il y a quelques années j'avais promis à Christelle de ne plus passer par le Gouter. Trop long mais surtout trop dangereux en plein été à cause des chutes de pierre, du monde et surtout de l'incompétence due à la plupart des ascensionnistes sur cette voie.
Dans les années 90, quand j'étais aspi j'enchaînais les montées et descentes sur cet itinéraire. Une vraie folie qui n'avait pas de sens si ce n'est de gagner de l'argent pour pouvoir se payer les pâtes à la fin du mois. Toutes voies confondues je suis monté 117 fois sur le sommet.  
Mais voilà, mardi matin la météo annonçait du vent fort et des orages pour la fin de matinée. Descendre par le Gouter c'est être sûr de pouvoir perdre de l'altitude rapidement. Mamat, était passé plusieurs fois en juillet. Les conditions étaient bonnes. 
On bascule donc sur l'arête des bosses. Et là commence la cour des miracles : dans le mur de la dernière bosse avant l'arête finale on croise une cordée de 8 personnes............oui 8 personnes sur la même corde dans une pente à 35°. Chaque personne est couchée sur son piolet, emmitouflée dans bonnets, buff et capuches qui ne permettent de voir que la couleur des semelles de celui de devant. Ces zombis avancent en titubant. En les passant je me dis "mais quelle bêtise de s'encorder comme ça". Personne ne tient personne ou alors tout le monde tient plus ou moins bien grâce au suivant. Puis 10 mètres plus bas je réalise que s'ils dévissent c'est le strike. Ils faucheront tout le monde sur le passage. Vite fuyons. Et surtout ne pas se retourner pour ne pas voir. 

Dans la descente du dôme un alpiniste est assis dans la neige dans une cuvette. Penché sur son thermos il ne bouge pas. En regardant sur la droite et la gauche je m'aperçois que la cuvette où il est assis n'est en fait qu'une large crevasse où à quelques mètres de lui on devine le trou noir. Je rallonge la corde et m'arrête pour lui signaler qu'il est sur une crevasse. Hagard il me regarde et se rallonge. Je tente en anglais, mais rien n'y fait. Je lui fais signe de ne pas rester là ... rien. Vite fuir pour ne pas voir ce qui pourrait lui arriver. 

La soucoupe volante du Gouter, avec ces filets, sa fraise à neige, ces cordes fixes et bien sur ces merdes humaines
En arrivant à coté du nouveau refuge du Gouter, un employé taille la corniche avec une fraiseuse. Joli bruit de motoculteur à cette altitude, associé à une belle odeur de mélange d'essence 2 temps. L'arête reliant l'ancien refuge au nouveau est équipée de grosses cordes avec piquets tous les 2 mètres. Un beau luna-park !!! L'arête même de l'aiguille du Gouter est jonchée de merdes humaines. En moyenne une tous les 2 mètres. Des dures, des liquides, des vomis... A croire que les WC du nouveau refuge ne fonctionnent pas ou ne sont pas assez nombreux pour tout le monde ou encore que la nourriture est si bonne que 20 mètres après avoir quitté le refuge presque tout le monde a envie de déféquer ou dégueuler !!!! Sympa ce lieu. On avait presque évoqué le fait de boire un coup pour découvrir l'intérieur mais on s'est dit que si l'intérieur était aussi accueillant que l'extérieur il valait mieux fuir. Direction donc la face N de l'aiguille du Gouter.

Depuis la rambarde de l'ancien refuge, mon regard plonge dans la face. Quel tas de gravats cette face. On m'a souvent traité d'élitiste de la montagne. De prétentieux car j'avais la chance de faire d'autres courses que cette voie normale. 

Le tas de gravats du Gouter !!!
Et pourtant je peux vraiment dire que je l'ai fréquenté ce tas de gravats. Que j'ai contribué à tracer le sentier dans cet éboulis vertical. Aujourd'hui après 21 ans de métier de guide et presque 37 ans de montagne je peux vraiment dire que je trouve cette face laide. Sorti des pbs de risques, rien n'est attirant dans ce lieu. Il y a tellement de montagnes ou le cheminement est beau, ou la couleur de la roche attire, ou la vue ne plonge pas dans des couloirs infâmes donnant une vision d'enfer. Tellement de montagnes faciles ou la beauté n'est pas associée qu'aux paysages mais aussi à l'itinéraire.
Le chemin de croix commence. Câbles, câbles, surtout ne pas sortir de la trace pour ne pas faire partir de pierre. Surveiller les cordées qui montent pour les croiser au bon moment, surveiller les cordées qui descendent et qui sont au dessus pour que si elle font partir un pierre réagir à temps. J'admire les guides qui restent insouciants et montent régulièrement par cette voie. J'admire moins ceux qui n'ont pas de casque. Peut être ont ils la tête plus dure que nous autres. Ou alors insouciance ? C’est beau l'insouciance comme ça !!! On croise des cordées. Pas beaucoup de guides ce jour là. Et encore moins de français. Est-ce un signe d'évolution dans la profession ? Ou alors le "bordel" de résa au refuge du Gouter en a rebuté plus d'un. Ils préfèrent partir de Tête Rousse ou alors passer par les 3 monts ? Peut être. 

Arrivée vers la traversée du couloir. Un bouchon se forme. Plusieurs pierres sont parties dans les minutes qui précèdent et tout le monde hésite. J'enjambe 3 cordées. Passe devant 2 autres et arrive à l'entrée du couloir. Un cri fuse du haut. En quelle langue ? Je comprends rien. Mamat est passé avant. J'ai pu surveiller sa traversée et checker si aucune pierre ne partait. A son tour de me surveiller depuis l'autre côté. Un alpiniste devant nous hésite, s'engage puis fais demi-tour. Je râle un bon coup. 
La traversée du couloir. Vite fuir !!

Franchement tout ce merdier ça me fait grave chier. J'écarte l'homme hésitant et m'engage. Jeem tu ne regardes que tes pieds. Tu te concentres et tu donnes tout ce que tu peux. Une marche de neige sur 15mètres, une traversée de gravât puis re une marche de neige sur 10 mètres. Surtout ne pas s'arrêter au bout. Quand les pierres ricochent même sur l'arête on peut se faire arroser. J'enchaîne.... et là qu’elle n'est pas ma surprise, devant moi je croise 3 gaillards en goguettes !!! Equipé trail : collant, tee-shirt moulant, sac de 15 litres avec les tuyaux qui sortent de partout, baskets tige basse, casque, baudrier mais pas de corde. Par contre s'ils continuent à tirer la langue comme ça ils vont attraper toutes les mouches du couloir !!! Je me demande si le choix de se mettre en petite tenue de coureur de trail est du à :

- vouloir alléger le poids de son sac car avec la surcharge pondérale, ils ont peur de ne pas y arriver

 - faire comme Kilian Jornet sans mesurer leurs incompétences d'alpiniste. 

50 mètres plus bas je croise 2 autres « alpitraileur ». Je ne sais pas si ce terme existe.
La seule chose que j'espère c'est que les organisateurs des ces grands jeux du cirque (comme l'UTMB) ne prennent pas la décision d'organiser ces bêtises en haute montagne. Déjà que je trouve qu'ils pourrissent la moyenne montagne le temps d'une semaine, il ne faudrait pas qu'ils viennent dans ce petit espace encore un peu libre. J'admire les capacités de ces coureurs, l'année dernière au refuge de Crète Sèche avec Cathi, Jeem et Simon nous avions croisé un jeune couple qui faisait un raid de 5 étapes de refuge en refuge. Petits sentiers de montagne, avec sac minimaliste. C'était vraiment beau à voir et bien loin de ces organisations de foire à nono.
Pour conclure cette petite photographie de la voie normale du Mont-blanc, je me suis senti bien loin de ce que j'aimais en montagne. Dans la descente du Gouter j'étais tendu comme une arbalète. Une sorte de fuite en avant me poussait à sortir au plus vite de cette montagne du Gouter. Est ce ça la montagne ? Est ce normale d'avoir envie de fuir, d'avoir peur de ce que font les autres alpiniste à côté ? Est ce pour ceci que je monte là haut ? Pour voir ce refuge surréaliste ou l'on a peur que les alpinistes se perdent en cas d'incident et c'est pour çà que l'on a installé des cordes sur l'arête du gouter ?

NON NON et NON

Etre loin des foules, être dans un environnement beau, sur un bel itinéraire, être dans un endroit peu aménagé. Peu importe la difficulté. Pour moi la montagne n'est qu'un prétexte à vivre des émotions intenses ensemble. L'environnement et les gens qui y vivent y contribuent énormément. 


Bonne montagne – profitez-en mais soyez exigeant sur là ou vous allez. 

De Jean ANNEQUIN - 09 Août 2013



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