Il est beau vu de là !!! majestueux |
Mardi en sortant de l'arête de l'Innominata au Mont-Blanc,
je me suis posé la question de par où descendre de la Grande Bosse. Il est
8h30, le vent est fort mais pas trop encore. On vient de mettre 6h pour
l'arête. Tout le monde a bien la forme : Jeem avec qui je suis encordé, Mamat
et son client Pascal. Au sommet on croise les cordées qui arrivent du refuge du
Gouter.
Il y a quelques années j'avais promis à Christelle de ne
plus passer par le Gouter. Trop long mais surtout trop dangereux en plein été à
cause des chutes de pierre, du monde et surtout de l'incompétence due à la
plupart des ascensionnistes sur cette voie.
Dans les années 90, quand j'étais aspi j'enchaînais les
montées et descentes sur cet itinéraire. Une vraie folie qui n'avait pas de
sens si ce n'est de gagner de l'argent pour pouvoir se payer les pâtes à la fin
du mois. Toutes voies confondues je suis monté 117 fois sur le sommet.
Mais voilà, mardi matin la météo annonçait du vent fort et
des orages pour la fin de matinée. Descendre par le Gouter c'est être sûr de
pouvoir perdre de l'altitude rapidement. Mamat, était passé plusieurs fois en
juillet. Les conditions étaient bonnes.
On bascule donc sur l'arête des bosses. Et là commence la
cour des miracles : dans le mur de la dernière bosse avant l'arête finale on
croise une cordée de 8 personnes............oui 8 personnes sur la même corde
dans une pente à 35°. Chaque personne est couchée sur son piolet, emmitouflée
dans bonnets, buff et capuches qui ne permettent de voir que la couleur des semelles
de celui de devant. Ces zombis avancent en titubant. En les passant je me dis
"mais quelle bêtise de s'encorder comme ça". Personne ne tient
personne ou alors tout le monde tient plus ou moins bien grâce au suivant. Puis
10 mètres plus bas je réalise que s'ils dévissent c'est le strike. Ils
faucheront tout le monde sur le passage. Vite fuyons. Et surtout ne pas se
retourner pour ne pas voir.
Dans la descente du dôme un alpiniste est assis dans la
neige dans une cuvette. Penché sur son thermos il ne bouge pas. En regardant
sur la droite et la gauche je m'aperçois que la cuvette où il est assis n'est
en fait qu'une large crevasse où à quelques mètres de lui on devine le trou
noir. Je rallonge la corde et m'arrête pour lui signaler qu'il est sur une
crevasse. Hagard il me regarde et se rallonge. Je tente en anglais, mais rien
n'y fait. Je lui fais signe de ne pas rester là ... rien. Vite fuir pour ne pas
voir ce qui pourrait lui arriver.
La soucoupe volante du Gouter, avec ces filets, sa fraise à neige, ces cordes fixes et bien sur ces merdes humaines |
En arrivant à coté du nouveau refuge du Gouter, un employé taille
la corniche avec une fraiseuse. Joli bruit de motoculteur à cette altitude,
associé à une belle odeur de mélange d'essence 2 temps. L'arête reliant
l'ancien refuge au nouveau est équipée de grosses cordes avec piquets tous les
2 mètres. Un beau luna-park !!! L'arête même de l'aiguille du Gouter est
jonchée de merdes humaines. En moyenne une tous les 2 mètres. Des dures, des
liquides, des vomis... A croire que les WC du nouveau refuge ne fonctionnent
pas ou ne sont pas assez nombreux pour tout le monde ou encore que la
nourriture est si bonne que 20 mètres après avoir quitté le refuge presque tout
le monde a envie de déféquer ou dégueuler !!!! Sympa ce lieu. On avait presque
évoqué le fait de boire un coup pour découvrir l'intérieur mais on s'est dit que
si l'intérieur était aussi accueillant que l'extérieur il valait mieux fuir.
Direction donc la face N de l'aiguille du Gouter.
Depuis la rambarde de l'ancien refuge, mon regard plonge
dans la face. Quel tas de gravats cette face. On m'a souvent traité d'élitiste
de la montagne. De prétentieux car j'avais la chance de faire d'autres courses
que cette voie normale.
Le tas de gravats du Gouter !!! |
Et pourtant je peux vraiment dire que je l'ai fréquenté
ce tas de gravats. Que j'ai contribué à tracer le sentier dans cet éboulis
vertical. Aujourd'hui après 21 ans de métier de guide et presque 37 ans de
montagne je peux vraiment dire que je trouve cette face laide. Sorti des pbs de
risques, rien n'est attirant dans ce lieu. Il y a tellement de montagnes ou le
cheminement est beau, ou la couleur de la roche attire, ou la vue ne plonge pas
dans des couloirs infâmes donnant une vision d'enfer. Tellement de montagnes
faciles ou la beauté n'est pas associée qu'aux paysages mais aussi à
l'itinéraire.
Le chemin de croix commence. Câbles, câbles, surtout ne pas
sortir de la trace pour ne pas faire partir de pierre. Surveiller les cordées
qui montent pour les croiser au bon moment, surveiller les cordées qui
descendent et qui sont au dessus pour que si elle font partir un pierre réagir
à temps. J'admire les guides qui restent insouciants et montent régulièrement
par cette voie. J'admire moins ceux qui n'ont pas de casque. Peut être ont ils
la tête plus dure que nous autres. Ou alors insouciance ? C’est beau
l'insouciance comme ça !!! On croise des cordées. Pas beaucoup de guides ce
jour là. Et encore moins de français. Est-ce un signe d'évolution dans la
profession ? Ou alors le "bordel" de résa au refuge du Gouter en a
rebuté plus d'un. Ils préfèrent partir de Tête Rousse ou alors passer par les 3
monts ? Peut être.
Arrivée vers la traversée du couloir. Un bouchon se forme.
Plusieurs pierres sont parties dans les minutes qui précèdent et tout le monde
hésite. J'enjambe 3 cordées. Passe devant 2 autres et arrive à l'entrée du
couloir. Un cri fuse du haut. En quelle langue ? Je comprends rien. Mamat est
passé avant. J'ai pu surveiller sa traversée et checker si aucune pierre ne
partait. A son tour de me surveiller depuis l'autre côté. Un alpiniste devant
nous hésite, s'engage puis fais demi-tour. Je râle un bon coup.
La traversée du couloir. Vite fuir !! |
Franchement
tout ce merdier ça me fait grave chier. J'écarte l'homme hésitant et m'engage.
Jeem tu ne regardes que tes pieds. Tu te concentres et tu donnes tout ce que tu
peux. Une marche de neige sur 15mètres, une traversée de gravât puis re une
marche de neige sur 10 mètres. Surtout ne pas s'arrêter au bout. Quand les
pierres ricochent même sur l'arête on peut se faire arroser. J'enchaîne.... et
là qu’elle n'est pas ma surprise, devant moi je croise 3 gaillards en goguettes
!!! Equipé trail : collant, tee-shirt moulant, sac de 15 litres avec les tuyaux
qui sortent de partout, baskets tige basse, casque, baudrier mais pas de corde.
Par contre s'ils continuent à tirer la langue comme ça ils vont attraper toutes
les mouches du couloir !!! Je me demande si le choix de se mettre en petite
tenue de coureur de trail est du à :
- vouloir alléger le poids de son sac car avec la surcharge
pondérale, ils ont peur de ne pas y arriver
- faire comme Kilian Jornet sans mesurer leurs
incompétences d'alpiniste.
50 mètres plus bas je croise 2 autres
« alpitraileur ». Je ne sais pas si ce terme existe.
La seule chose que j'espère c'est que les organisateurs des
ces grands jeux du cirque (comme l'UTMB) ne prennent pas la décision
d'organiser ces bêtises en haute montagne. Déjà que je trouve qu'ils
pourrissent la moyenne montagne le temps d'une semaine, il ne faudrait pas
qu'ils viennent dans ce petit espace encore un peu libre. J'admire les
capacités de ces coureurs, l'année dernière au refuge de Crète Sèche avec Cathi,
Jeem et Simon nous avions croisé un jeune couple qui faisait un raid de 5
étapes de refuge en refuge. Petits sentiers de montagne, avec sac minimaliste.
C'était vraiment beau à voir et bien loin de ces organisations de foire à nono.
Pour conclure cette petite photographie de la voie normale
du Mont-blanc, je me suis senti bien loin de ce que j'aimais en montagne. Dans
la descente du Gouter j'étais tendu comme une arbalète. Une sorte de fuite en
avant me poussait à sortir au plus vite de cette montagne du Gouter. Est ce ça
la montagne ? Est ce normale d'avoir envie de fuir, d'avoir peur de ce que font
les autres alpiniste à côté ? Est ce pour ceci que je monte là haut ? Pour voir
ce refuge surréaliste ou l'on a peur que les alpinistes se perdent en cas d'incident
et c'est pour çà que l'on a installé des cordes sur l'arête du gouter ?
NON NON et NON
Etre loin des foules, être dans un environnement beau, sur
un bel itinéraire, être dans un endroit peu aménagé. Peu importe la difficulté.
Pour moi la montagne n'est qu'un prétexte à vivre des émotions intenses
ensemble. L'environnement et les gens qui y vivent y contribuent énormément.
Bonne montagne – profitez-en mais soyez exigeant sur là ou
vous allez.
De Jean ANNEQUIN - 09 Août 2013
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